Vol. 29, N° 1 (Printemps 2025)

CRISE ET POUVOIR DANS LA PHILOSOPHIE ITALIENNE CONTEMPORAINE
Éditeur et éditrice invité·e·s : Antonio Calcagno et Silvia Benso

JOHN CARUANA, Massimo Cacciari’s Agonic Thought: On Crisis and the Future of Europe

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Les réflexions de Massimo Cacciari sur la crise (krisis) et ses implications pour l’avenir de l’Europe sont plus urgentes que jamais. Cet article retrace son évolution d’une vision marxiste de la crise comme condition historique à surmonter à son engagement ultérieur dans la pensée négative, où la crise est considérée comme une fissure indéracinable au cœur de la réalité. S’appuyant sur des penseurs tels que Nietzsche, Heidegger et Schopenhauer, ainsi que sur des sources religieuses et mythologiques, Cacciari soutient que la crise doit être acceptée plutôt que résolue. Il étend cette compréhension de la crise, au-delà de la philosophie, à ses réflexions politiques, décrivant l’Europe comme un paradoxe non résolu – son identité étant façonnée par l’interaction perpétuelle de la différence et de l’appartenance. Rejetant à la fois la nostalgie réactionnaire et l’homogénéisation technocratique, Cacciari envisage une Europe qui doit surmonter ses incertitudes grâce à l’ouverture intellectuelle et culturelle.

JETA MULAJ, Letters of Blood and Fire: Silvia Federici on the Crisis of Capitalism

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Cet article se concentre sur l’analyse de la crise par Silvia Federici. Il met en lumière le fait que sa compréhension de la crise comporte deux composantes interdépendantes : d’une part, une approche historique et, d’autre part, une compréhension de la crise comme phénomène permanent inhérent à la société capitaliste. L’article soutient que, pour Federici, c’est exclusivement dans la société capitaliste que la crise devient un état de fait normal. En démontrant cela à travers sa compréhension de la reconstitution constante de l’accumulation primitive, l’article explore les implications de cette analyse pour notre compréhension du capitalisme et de l’émancipation. La récupération de la compréhension de Federici de la crise capitaliste actuelle met en lumière la nécessité de plaider en faveur d’une transformation radicale des conditions matérielles de notre reproduction.

DIANE ENNS, Elena Pulcini on Crisis and Vulnerability

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Dans Care of the World: Fear, Responsibility, and Justice in the Global Age, Elena Pulcini affirme avec ténacité et urgence que la vulnérabilité est une force qui nous pousse à prendre soin d’un monde en difficulté. J’explore les limites de cette affirmation, car la vulnérabilité inspire non seulement la gentillesse, mais aussi l’indifférence et la cruauté, et je soutiens que toute discussion sur la vulnérabilité doit prendre en compte les effets motivants du pouvoir ou de la force partagés dans des conditions de crise. Cela exige une nouvelle appréciation du courage, que j’illustre en faisant référence à l’analyse de Ranabir Samaddar sur le « pouvoir public » des travailleurs migrants indiens pendant la pandémie de la COVID-19.

 

ARTICLES VARIÉS

TAYLOR ROGERS ET LAUREN GUILMETTE, Taylor Rogers’s NOA: Filmmaking as Research-Creation in Feminist Continental Philosophy

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Cet entretien, mené pendant plusieurs mois entre Lauren Guilmette et Tay Rogers, en conversation avec Amy Marvin, Qrescent Mali Mason et Kelly Gawel, porte sur la création et l’impact d’un film que Rogers a produit dans le câdre de ses recherches doctorales en philosophie continentale. Le processus par lequel le film a été créé présente un intérêt pour la philosophie continentale contemporaine : ce processus fût collaboratif, émergent et basé sur la musique composée par Rogers. Dans l’entrevue, la portée philosophique du film est sondée, depuis ses liens avec des figures canoniques tels que Nietzsche et Lugones, jusqu’aux voix féministes émergentes dans la philosophie de l’humour, les études trans, les études critiques sur la race et les thèmes liés à l’incarnation, au deuil, à l’affect et aux ontologies relationnelles. Les lecteurs et lectrices sont initié.es à la création de recherche en tant que pratique de recherche fondée sur les arts et qui revêt une grande valeur, souvent inexploitée, pour la recherche philosophique.

JOSHUA ST. PIERRE ET DANIKA JORGENSEN SKAKUM, Towards a World That Stutters: Dysfluency in Three Modes of Belonging

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Cet article explore trois modes conceptuels d’appartenance au sein de la communauté des personnes qui bégaient—curatif, inclusif et transformatif—chacun reflétant des relations distinctes au handicap, aux relations sociales et à l’action politique. L’appartenance curative s’inscrit dans un cadre capacitiste, considérant la fluidité de la parole comme une condition préalable à l’appartenance. Dans le mode inclusif, les personnes qui bégaient cherchent à appartenir aux relations sociales existantes et doivent s’y conformer. L’appartenance transformatrice, en revanche, réimagine la dysfluidité comme une différence génératrice, remettant en question la domination de la fluidité et plaidant pour un monde qui accepte le bégaiement en tant que tel. En cartographiant ces modes, cet article met en lumière les tensions au sein de la communauté des personnes qui bégaient et revendique un changement politique allant au-delà de la tolérance et de l’intégration, vers une vision affirmée de la dysfluidité comme un espace de résistance et d’appartenance.

ANNA MUDDE ET EDITH SKEARD, Craft Practices as Soft Collaboration: The Relational Ethics of Making and Doing

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À partir de notre intérêt commun pour les implications philosophiques des pratiques artisanales, cet article invoque un atelier que nous avons développé autour du « making and doing » pour philoSOPHIA 2024, au cours duquel nous avons invité des philosophes et d’autres chercheurs et chercheuses à travailler avec de l’argile tandis que des micros de contact amplifiaient et attiraient l’attention sur les sons de leur travail. Dans notre atelier, nous nous sommes demandé(e)s si la « culture immatérielle » est réellement insaisissable, comme son nom l’indique, ou si plutôt son œuvre s’accomplit dans des lieux ordinairement silencieux et négligés. Dans cet article, nous discutons de la manière dont les facilités (« affordances ») façonnent nos champs de perception et comment l’amplification – dans ce cas, l’amplification de sons autrement ignorés – peut servir d’outil pour atteindre et mettre en question ces hypothèses codées. Nous proposons que ce que l’on estime intangible est en réalité ce que nous appelons la «  collaboration douce » – les façons non intentionnelles mais relationnellement conséquentes dont les individus fonctionnent dans le monde.

KYLE BARBOUR, The Saturated Phenomenon as Contradiction:
A Contribution to the Hermeneutic Critique of Jean-Luc Marion’s Phenomenology

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L’approche du phénomène saturé de Jean-Luc Marion a fait l’objet de critiques venant de diverses perspectives, la plus importante étant la « critique herméneutique » qui soutient que Marion ne prend pas en considération la façon dont l’apparence même des phénomènes est tributaire de l’interprétation. Tout en reconnaissant l’ingéniosité de Marion dans sa conception du phénomène saturé et la rigueur de son investigation phénoménologique, je partage l’avis de la critique herméneutique selon laquelle Marion a écarté le rôle fondamental de la subjectivité dans la composition de l’expérience. Néanmoins, malgré mon soutien de la critique herméneutique, j’estime que ses partisans n’explicitent pas suffisamment la conclusion implicite de la critique. Dans cet article, je soutiendrai que le phénomène saturé engendre une contradiction que Marion n’a pas su gérer : soit le phénomène apparaît et n’est pas saturé, soit il est saturé et n’apparaît pas.

COSIMO COEN, La métaphore de la « courbure de l’espace » : Obligation éthique et limite du droit dans le sillage de Levinas

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À partir de la métaphore de la courbure de l’espace fournie par Levinas dans Totalité et infini, et en poursuivant par d’autres passages d’Autrement qu’être, on reconnaîtra dans l’asymétrie de l’ordination éthique un événement constitutif de notre expérience de la spatialité. En même temps, l’obligation juridique pourra être vue en tant que délimitation ouvrant la voie à la spatialité géométrique – voire à la symétrie propre à l’ontologie. Sur ces bases, il sera question d’interroger le statut du droit par le biais de la figure métaphorique de la cité ou du refuge : lieu où bâtir des institutions justes, mais où l’on peut être tenté·e de s’échapper à l’« exposition » éthique. Enfin, en tâchant de garder ouvert un passage entre le dit et le dire, il sera émis l’hypothèse – en se référant aussi à l’herméneutique juive – d’une expérience liminale, à même d’empêcher la limite du droit de se refermer sur elle-même, dans une totalité.

 

UN HOMMAGE À CONSTANTIN V. BOUNDAS
Éditrice et éditeur invité·e·s : Ada Jaarsma et Antonio Calcagno

DAVID MORRIS, Boundas: Scholar, Scrivener, Dancing Philosopher

DOROTHEA OLKOWSKI, The Sorcerer’s Apprentice: The Deleuze of Constantin Boundas

DANIEL W. SMITH, “I Have Never Become Deleuzian”: In Homage to Constantin V. Boundas

JAY LAMPERT, “Boundas: The Series”

CONSTANTIN V. BOUNDAS, A Letter, In Absentia